Projet scientifique – Axe 5

Axe 5 : Risques sanitaires, crises agraires et défis environnementaux

Covid-19 dans un township en Afrique (licence CC BY)

Avec la pression sur les ressources et les transitions démographiques et alimentaires qui s’exercent en Afrique, les risques sanitaires et les crises agro-environnementales sont de plus en plus prégnants. Ces questions sanitaires, agraires et environnementales, toutes aussi cruciales les unes que les autres pour l’avenir de ce continent, ont souvent parties liées. En touchant à la santé humaine et à la santé de la terre, ces crises et ces risques méritent d’être abordés dans un axe commun, volontiers comparatiste et interdisciplinaire, en vue d’en décrypter les soubassements et les issues.

Santé, Mondialisation, Circulations

En Afrique, la santé participe aux enjeux cruciaux du continent. En réponse aux risques santé importants, la « Bonne santé et bien-être » apparaît comme le 3ième objectif du développement durable. Face à des maladies plus anciennes mais encore présentes comme la rougeole, le paludisme, la tuberculose, ou à des nouveaux virus, bactéries, maladies, qui circulent, le partage et l’échange de connaissances, de savoir-faire, les transferts de techniques illustrent ce mouvement de mondialisation en même temps qu’ils y participent. Dans ce contexte, les faits de santé seront étudiés en considérant leur complexité et leur diversité.

Épidémie, pandémie
La pandémie du coronavirus (covid 19) met en évidence la relation complexe qui existe entre l’extrême mobilité d’un agent pathogène, la réalité d’un monde ouvert et la variabilité des manifestations épidémiologiques observées selon les lieux. Des facteurs historiques, politiques, socio-culturels peuvent exacerber les nationalismes et donner à la fermeture des frontières une dimension qui va bien au-delà des précautions à visée purement sanitaire. Ils peuvent raviver certains tensions et conflits géopolitiques aux dépens de concertations et coopérations internationales indispensables au traitement d’une pandémie. L’ambition de chercheurs au sein de ce groupe est de comprendre les situations sanitaires face à cette crise de la covid-19 in situ, d’en étudier, au regard des enjeux globaux, les dynamiques sociales, et politiques selon les pays et les contextes éthiques. Des études sur l’impact de cette crise sanitaire sur les inégalités entre les sexes seront par exemple menées. Le risque d’inégalités accrues entre les sexes et du recul des droits des femmes est en effet exacerbé dans ce contexte : recul de leur accès à l’éducation et aux soins de santé, augmentation des violences, etc.

Santé publique, santé mondiale : du local au global
Qu’il s’agisse d’épidémies virales, de maladies chroniques ou au long court (cancer), de mortalité maternelle, les situations sur le continent révèlent d’importantes disparités, nécessitant d’étudier l’interaction entre dynamiques sociale et épidémique. Les nombreux problèmes de santé sexuelle et reproductive peuvent être renforcés par des inégalités de sexe, par les législations et les normes sociales qui visent les personnes LGBTI. La santé sexuelle et reproductive permet de mettre à jour des situations de vulnérabilité dans le rapport des individus à leur santé. Les projets menés sur l’intersexuation, sur la mortalité maternelle sont des travaux qui continueront à être menées au sein de cet axe, confortés par la persistance des hauts taux de mortalité maternelle sur le continent africain et par des débats en cours sur les différentes formes de prise en charge de l’intersexuation.

Santé numérique et développement durable
Le recours à la télé-médecine vise à lutter contre les inégalités d’accès aux soins et les retards de diagnostics. Il repose sur un constat économique, des priorités sanitaires avec des prévalences fortes comme le cancer, et des considérations géopolitiques. Ce questionnement prend aussi tout son sens au regard de la spécificité de la structure démographique de la majorité des pays africains, des besoins d’équipements et de personnels qui en découlent et par les faiblesses des systèmes de santé pour les populations les plus vulnérables, éloignées des centres médicaux souvent concentrés en milieu urbain. Le domaine de l’oncologie en rend compte, étant donné la progression attendue des cas de cancers sur le continent dans les vingt prochaines années, avec un taux de mortalité le plus élevé du monde. Des projets de recours à la télé médecine pour des spécialités telles que la dermatologie ou la cancérologie se multiplient, tels que le réseau RAFT pour la Télé médecine en Afrique Francophone qui couvre une vingtaine de pays, ou encore l’application BOGOU, très utilisée face à la pandémie de Covid 19 au Mali pour des télé consultations en dermatologie. Dans ce contexte, une recherche sera menée au LAM sur la mise en place de la télé-expertise en oncologie féminine dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.

Ressources, crises agro-environnementales et conflits

Le centre de gravité des populations et des économies a beau se déplacer vers les villes, y compris en Afrique, l’agriculture demeure un secteur d’importance voire essentiel encore. La pandémie de la covid-19 a remis la lumière sur son caractère stratégique dans les pays africains. L’évolution de la productivité et du rendement agricole, domaine dans lesquels les pays africains connaissent des résultats variés mais décevants en général, reste un des enjeux les plus classiques du développement. De nombreux cas de migrations de détresse sont liés à un certain délaissement de l’agriculture. Enfin, la conflictualité prend aussi le chemin des zones rurales. En 2011, Christopher Cramer et Paul Richards invitaient d’ailleurs « les études de la guerre à prendre un virage agraire ». De même peut-on citer le titre d’un colloque organisé à Paris en 2014 : « Agriculture délaissée, terreau de l’insécurité ». Tout plaide donc pour une prise en compte explicite de ce secteur.

Géopolitique des ressources agraires et de la sécurité alimentaire
Ce secteur et les ressources qu’il mobilise entrent de plain-pied dans les rivalités de pouvoir et les jeux de puissance. Sans cesser d’observer les opérations d’acquisition des grandes firmes internationales (land grabbing), il faut observer les tensions autour de la terre et le potentiel de manipulation électorale et identitaire qu’elles contiennent. Les réformes agraires – sud-africaine et zimbabwéenne notamment – constituent un enjeu important, de même que le devenir des terres des anciennes réformes agraires dans les pays d’Afrique du nord et de l’est. Les politiques de sécurisation foncière supposées protéger les agriculteurs en Afrique, jusqu’alors en régime coutumier, autre versant de ce projet de recherche, génèrent un risque de ventes massives par des paysanneries fragilisées, favorisant le land grabbing (Bouquet, 2015 ; Schlimmer, 2018, 2020). L’histoire agraire en Europe, en Asie et au Moyen-Orient montre ce risque de réformes foncières qui peuvent pousser à un massif changement de mains, avec tout le risque de déstabilisation sociopolitique que cela entraîne (Blanc, 2018, 2020). Les conflits sur les ressources hydriques et foncières entre agriculteurs et éleveurs (Blanchon 2019) sont également exacerbés par les mutations climatiques en cours. Au Sahel, nombre de conflits souvent à référents ethno-religieux y prennent racine. Par-delà la question des ressources, c’est toute la question de la sécurité alimentaire qui interroge le laboratoire. La faim et la sous-nutrition sont d’abord des questions paysannes ; elles pèsent sur la santé des ménages, l’efficacité de la main-d’œuvre et donc la rentabilité de l’agriculture ; elles constituent un des plus scandaleux marqueurs des inégalités villes-campagnes, interrégionales, internationales. La malnutrition présente grossièrement deux visages contrastés : un déséquilibre dû à la pénurie, un déséquilibre dû à la surabondance (notamment de sucres et de graisses animales) qu’il est important de prendre en compte pour le futur sanitaire de notre zone d’étude. C’est tout le discours et les réalités en matières de sécurité alimentaire qui doivent être analysés.

Crises agro-environnementales
À l’heure de l’anthropocène le LAM ne saurait ne pas s’intéresser, même au prisme de l’agriculture, à la crise environnementale mondiale et aux modalités de ses déclinaisons africaines. À elle seule, l’agriculture mondiale participe au quart des émissions de gaz à effet de serre (GES), à la perte de biodiversité, à la multiplication des contacts homme/animal dont il est démontré qu’ils contribuent à l’émergence de nouvelles maladies, etc. Cette agriculture africaine est confrontée au défi d’une « révolution doublement verte » pour tourner le dos à une agriculture insoutenable tout en nourrissant un continent de plus en plus peuplé et en fournissant un marché mondial toujours plus exigeant en quantité et qualité.

Le nécessaire comparatisme
Au sein du LAM, des travaux menés sur d’autres régions, en particulier au Moyen-Orient, où ces questions se posent avec une forte acuité, permettent ici une approche comparatiste. La conflictualité dans cette région a aussi un fort arrière-plan agro-environnemental (Blanc 2012). De la création des frontières aux politiques d’émancipation géopolitique via la recherche d’une certaine autosuffisance, du contrôle politique de l’espace aux dynamiques identitaires, des conflits internes aux guerres interétatiques, c’est souvent la question agricole et des ressources foncières et hydriques qu’on retrouve. La région souffre elle aussi d’occurrences accrues de sécheresse et d’une croissance démographique liée à la natalité mais également, en certains endroits comme au Liban et en Jordanie, aux flux migratoires (conflit syrien, migrations venues de la Corne de l’Afrique, etc.). Plus spécifique est la reconfiguration foncière en cours en Syrie à la faveur de la guerre qui, en déplaçant les populations, semble anéantir les anciens régimes de possession. On peut donc parler d’une véritable crise des ressources naturelles qui pèse sur la sécurité alimentaire et hydrique, avec son répertoire d’incidences sociales et géopolitiques bien connues (précarité, exode, instabilités).