Accueil de Véronique CORINUS du 01/09/2022 au 31/08/2023

Accueil de Véronique CORINUS du 01/09/2022 au 31/08/2023

Véronique CORINUS, maîtresse de conférences en littératures comparées et littératures francophones à l’Université Lumière Lyon II, est membre associée à LAM depuis 2021. Elle est invitée dans le cadre d’une délégation CNRS durant l’année académique 2022-2023.

Le projet qu’elle mène à LAM s’effectue au sein de l’Axe 3 du projet de recherche du laboratoire : Imaginaires, arts, subjectivités et porte sur « le traitement de l’intertexte oralitaire dans l’œuvre poétique et dramaturgique de l’écrivain martiniquais Aimé Césaire, du Cahier d’un retour au pays natal (1939) à Moi Laminaire (1981) ».

Sur quelles thématiques portent généralement vos recherches en littérature ?

Je travaille sur deux axes qui peuvent sembler très opposés : la littérature écrite francophone et la littérature orale créolophone. Les deux sont cependant étroitement liées en cela qu’un certain nombre d’auteurs francophones ont à cœur d’intégrer des éléments de littérature orale dans leurs oeuvres. Léopold Sédar Senghor et Abdoulaye Sadji ont, par exemple, édité en 1953 un manuel scolaire, La Belle Histoire de Leuk-le-Lièvre, à destination des élèves du « Cours Élémentaire des écoles d’Afrique Noire », dans lequel ils réinvestissent le cycle du personnage classique des contes de la savane de l’ouest africain dans un objectif pédagogique. Raphaël Confiant ou Patrick Chamoiseau, écrivains de la créolité, ont revendiqué dès 1989, l’importance de l’oralité dans leurs écrits. Ils ont dit vouloir prendre le relai du conteur antillais pour inventer une nouvelle esthétique en lien avec la culture antillaise. Mon objectif est de comprendre les raisons qui amènent des auteurs à insérer l’oralité dans leurs oeuvres et les mécanismes poétiques auxquels ils ont recours pour y parvenir.

Quelles questions sur Aimé Césaire allez-vous traiter durant ce séjour ?

Je me suis penchée sur l’œuvre d’Aimé Césaire dans cette même perspective, même si (ou parce que) l’influence oralitaire est beaucoup moins perceptible dans ses écrits. Elle a même parfois été déniée et lui-même ne l’a pas toujours revendiquée de façon ferme. Il s’agit pour moi de circonscrire l’apport du patrimoine oral créole dans son œuvre poétique et dramatique : les contes archétypaux qu’il a empruntés, les motifs qu’il a exploités, les images oralitaires qu’il a créées, l’impact que la littérature orale a eu sur la langue et le rythme qu’il utilise, etc.

Ce sujet est l’aboutissement logique de toute une série de recherches que je mène depuis plusieurs années. Mon mémoire de maîtrise portait sur Le Cahier d’un retour au pays natal (1939). Ce premier travail de recherche m’a ouverte aux littératures francophones, notamment caribéennes, mais également à la littérature orale créolophone.

Les contes populaires ont tout particulièrement retenu mon attention. Dans le cadre de ma thèse[1], j’ai étudié le répertoire de Félix Modock (1885-1942), un petit planteur antillais qui a été collecté en 1924 dans le nord de la Martinique. En travaillant sur l’influence de l’oralité sur l’écriture d’Aimé Césaire (qui a vécu à la même période dans la même zone géographique), j’inverse la perspective : il s’agit non plus d’étudier comment un écrivant a fixé à l’écrit les contes qu’il avait l’habitude de proférer à l’oral mais comment un écrivain a introduit l’oralité dans son écriture.

Ma démarche va à l’encontre d’une certaine critique qui a prétendu qu’Aimé Césaire s’est détourné de la culture antillaise pour s’inscrire exclusivement dans celles de l’Occident ou de l’Afrique. Je veux démontrer qu’il s’enracine également dans la culture créole. Il s’agira d’abord pour moi de montrer que son éducation l’a amené à s’imprégner de la culture créole dans laquelle il a baigné durant sa prime enfance et qui a façonné son imaginaire. Je souhaite également voir pourquoi il s’est éloigné de l’oralité puis y est revenu, à la faveur des courants anthropologiques et littéraires du début du XXe siècle qui l’ont réévaluée. La biographie de Césaire que j’ai publiée en 2019[2] pose certains jalons, que je souhaite développer et compléter par des entretiens avec ses proches. Ils me permettront de comprendre plus profondément son rapport à la fois intime et intellectuel à la littérature orale. La troisième dimension de ma recherche relève de l’étude littéraire. Il s’agit pour moi de travailler sur les textes de Césaire en les confrontant au matériau oral, afin de comprendre la façon dont il le retravaille. Césaire ne cherche pas à reproduire de façon mimétique les contes oraux. Il les transforme en modifiant leur structure, les détourne en changeant leur message, tout en conservant leurs motifs et leur souffle. La difficulté à percevoir l’influence orale dans l’écriture de Césaire ‒ que l’on si hermétique ‒ provient de cette réappropriation de la littérature orale qui est sublimée pour créer une poétique singulière.

Comment est née cette hypothèse qui va à l’encontre de la critique dominante ?

Quand j’ai lu et travaillé le Cahier d’un retour au pays natal dans le cadre de ma maîtrise, j’ai eu la sensation d’entendre des contes. C’était assez déroutant cette impression d’entendre une voix s’élever à la lecture d’une œuvre écrite. J’en ai fait part à mon professeur en D.E.A. qui a balayé d’un revers de main une telle hypothèse, m’opposant les influences livresques bien connues de Césaire : les auteurs antiques, Rimbaud, Mallarmé, etc. J’étais incrédule… Je lui ai répondu que je le lui prouverai… C’était pour moi tellement évident que Césaire puisait dans l’oralité créole. De plus, il ne me semblait pas impossible qu’un écrivain puisse emprunter à plusieurs types de littératures, se tourner aussi bien vers un auteur qu’un conteur.  Une vingtaine d’années plus tard, j’ai commencé enfin ces travaux.

D’où vient cet intérêt pour les contes ?

Depuis l’enfance, je suis fascinée par les contes. Je ne me souviens pourtant pas avoir particulièrement baigné dans cette tradition : je n’ai pas assisté à des veillées traditionnelles aux Antilles et en Métropole, où je suis née et où j’ai grandi, on ne me lisait pas spécialement de contes pour m’endormir. C’est dans les livres que j’ai découvert ce genre en dévorant les contes de fées, notamment ceux de Charles Perrault, puis les contes populaires du monde entier dans la fameuse édition des « Contes et légendes » des éditions Nathan. C’est essentiellement par les contes que je me suis ouverte à la littérature. Pour moi, les contes ne sont pas un genre désuet, destiné avant tout aux enfants. Il y a, dans ce genre, quelque chose de viscéral et de profondément humain. Quelque chose d’universel. C’est sûrement de là que vient mon intérêt. Avec les contes, on comprend mieux ce qu’est l’Homme.

Quelles sont vos motivations pour choisir LAM comme laboratoire d’accueil dans cette mobilité ?

Passages Arts & Littératures (XX-XXI) est mon laboratoire de rattachement principal. Ses membres travaillent sur les arts de la scène et de l’image, les littératures (française, francophones, comparées, étrangères), la musique ou la stylistique. Mes recherches ont partie liée avec ces différentes approches. Ce que LAM m’apporte de plus, c’est une pluridisciplinarité plus grande encore avec des approches politique, historique, économique, sociale, etc. J’ai été, en outre, sensible à l’ouverture de LAM sur les espaces transocéaniques, notamment les Antilles. En somme, ce qui m’a plu et convaincu, c’est le pluriel du laboratoire Les Afriques dans le monde, qui allie de façon originale plusieurs disciplines et plusieurs espaces. Je vais pouvoir rencontrer différents chercheurs et chercheuses du laboratoire, échanger sur nos travaux respectifs et certainement participer ou animer différentes séances de travail.


[1] Le corpus de la thèse intitulé « Le répertoire du conteur Félix Modock – Petit planteur antillais (1885-1942) » a été publié en 2021 aux éditions Karthala
https://www.lam.sciencespobordeaux.fr/le-repertoire-du-conteur-felix-modock-petit-planteur-antillais-1885-1942-v-corinus/

[2] https://www.puf.com/content/Aim%C3%A9_C%C3%A9saire

Interview réalisée par Aurore Epiphanie PROST pour LAM, septembre 2022