Lisa Mueller – invitée de septembre 2021 à juin 2022

Lisa Mueller – invitée de septembre 2021 à juin 2022

Invitée à LAM depuis le 1er septembre 2021, Lisa Mueller, professeure associée au Macalaster Collège (Etats-Unis), est venue faire des recherches comparatives en vue de la publication d’un ouvrage sur le thème des travailleurs des campagnes électorales en Afrique de l’Ouest et dans le monde (intersection entre les mouvements sociaux, les partis politiques et rôle de l’aide humanitaire).

Lors du séminaire mensuel de LAM le 17 février 2022, Lisa Mueller a présenté son ouvrage «Political Protest in Contemporary Africa», publié en 2018 par Cambridge University Press.

Pour quelle raison avez-vous commencé à vous intéresser à ces thématiques ?

J’ai commencé à m’intéresser aux manifestations en Afrique car j’étais en Guinée durant le coup d’État en 2008. Quand j’ai quitté le pays, j’ai assisté avec horreur aux massacres de personnes qui manifestaient en paix pour réclamer des élections libres. J’ai commencé à me demander pourquoi certaines personnes risquent leurs vies pour cela et d’autres restent chez elles. Ce fut le sujet de ma thèse de doctorat : je voulais comprendre ce qui explique les motivations de certains à protester et d’autres non quand ils sont confrontés à l’autocratie ou à divers dysfonctionnements.

Le choix de mon terrain d’études est venu naturellement car en 2009, le Président du Niger Mamadou Tandja avait lancé un referendum dans le but de changer la constitution pour obtenir un 3ème mandat, alors que la constitution limitait à 2 mandats présidentiels. De nombreuses manifestations de masse se sont ensuite déroulées. Etant donné que l’événement était encore récent et que les personnes pouvaient encore fournir des témoignages, j’ai trouvé que ce terrain d’études était adéquat à mon sujet de thèse.

Depuis, j’ai continué à m’intéresser aux autres dimensions de la politique au Niger et j’ai créé un réseau professionnel là-bas, ce qui facilite mon travail.

Comment pouvez-vous expliquer vos recherches actuelles ?

Afin de mieux comprendre le sujet sur lequel je travaille, il faut d’abord spécifier un concept qui n’est pas toujours connu.

Dans plusieurs pays tels que le Niger, l’Argentine, le Nigeria, les Philippines, l’Indonésie, le Nicaragua, etc. lors de campagnes électorales, les partis politiques engagent ce qu’on appelle « campaign brokers » en anglais, ce qui en français peut être traduit de différentes manières. Ce sont des militants et des mercenaires dans le sens où ils sont rattachés à un parti durant le temps de la campagne et ne sont pas tenus de travailler pour le même parti à chaque élection. Leur rôle est de mobiliser les électeurs pour qu’ils votent pour le parti qui les emploie.

Les recherches que je mène actuellement visent à comprendre comment ces «militants» «mercenaires», arrivent à convaincre les personnes de voter pour le parti qu’ils représentent.
Pour répondre à cette question, deux stratégies semblent possibles.

D’une part, je me demande s’ils arrivent à mobiliser des votes en les achetant ? D’autre part, je me demande s’ils y arrivent par la persuasion.

Beaucoup de politistes pensent que c’est uniquement la première stratégie d’achat de votes qui permet d’obtenir des voix et par conséquent, seule la corruption fonctionne. Mais selon moi, il y a d’autres paramètres impliqués.
Par ces recherches, je veux également démontrer que le système est peut-être moins corrompu que nous pouvons le penser. Et qu’il y aussi une grande part de capacité de conviction comme nous pouvons l’observer dans les campagnes électorales de pays comme la France ou les Etats-Unis. Quand un militant approche un électeur, il donne des arguments, des raisons de voter pour tel candidat plutôt qu’un autre. C’est ce que je veux étudier au Niger.

L’enjeu de cette recherche peut aussi mener à changer le regard des bailleurs de fonds internationaux qui veulent souvent éradiquer la corruption, l’achat de voix, qui existe bien sûr. Mais ce que j’anticipe, c’est que ce n’est pas l’unique explication aux résultats électoraux.

Après 6 mois à LAM, où en êtes-vous dans vos recherches ?

Avec mon collègue Moumouni Goungobane, qui est à l’Université Abdou Moumouni à Niamey, nous venons de passer ces 6 mois à concevoir une étude expérimentale sur la communication politique de ces «campaign brokers», ce qui implique de se documenter, écrire la théorie, choisir les hypothèses, écrire les trois enquêtes utilisées, les programmer avec des outils spécifiques nécessitant parfois de la programmation informatique, ou encore entrer les données dans des tableaux que les enquêteurs vont utiliser pour administrer les questionnaires, etc…

Comme c’est une recherche expérimentale terrain, il faut pré-enregistrer tous les détails de la recherche, son protocole dans un but de transparence et de rigueur scientifique.

Cela peut paraitre surprenant mais dans mon champ d’études de science politique, le travail consiste en 80% de programmation de la recherche, et 20% de travail effectif sur le terrain.

Je vais me rendre au Niger en plusieurs fois, dès mars 2022, avec comme objectif d’enregistrer des messages diffusés par ces «campaign brokers», donc ces professionnels de la mobilisation des votes ; et également les messages des non-professionnels qui n’ont donc jamais fait ce genre de travail rémunéré. Je vais ensuite les intégrer à une étude auprès d’électeurs auxquels des enquêteurs vont soumettre ces messages au hasard, sans préciser qu’ils viennent ou non de professionnels. Le but est de voir quel message est le plus persuasif, lequel a le plus d’impact sur l’évaluation des candidats pour les votants. Mon hypothèse est que les messages venant des «profesionnal brokers» seront plus efficaces étant donné qu’ils sont expérimentés et mieux préparés à promouvoir le parti ou le candidat.

Puis j’aurai des phases d’analyse des résultats.

En quoi votre séjour à LAM vous aide ?

Ma situation actuelle me permet de profiter au maximum : d’un côté, je suis proche de mon terrain d’études en Afrique de l’Ouest, à 5h de vol du Niger, ce qui est beaucoup plus proche que lorsque je suis aux Etats-Unis. D’un autre côté, j’ai le confort d’être à LAM dans le bureau que j’ai à ma disposition, qui me donne l’opportunité de travailler en toute indépendance mais aussi en compagnie d’autres chercheurs ou étudiants qui sont intéressés par les politiques africaines.

Cette année est pour moi une excellente et précieuse synergie entre le bureau et le terrain. Je devrais obtenir de nombreuses informations et résultats nécessaires à la rédaction de plusieurs articles scientifiques, en vue de la publication d’un livre.

Site web : http://www.muellerlisa.com/
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Interview réalisée le 18/02/2022